Lettre à Claude
Mon cher Claude, mon grand frère, oserai-je écrire, car quatre ans jour pour jour nous séparent : toi né le 27 février 1942, dans la ferme familiale de Moncoutant (Deux Sèvres), cadet d’une fratrie de quatre enfants ; moi le même jour dans celle de mes parents à Manot (Charente) en 1946. Autre similitude, nous avons eu la chance, par la grâce de nos instituteurs, dès l’école primaire d’être initiés à l’athlétisme, ce qui était très rare à l’époque. Sans oublier nos relations professionnelles ultérieures, ainsi que plusieurs vacances d’été passées en commun, c’est une amitié profonde et sincère qui nous unit depuis longtemps.
Dès ton plus jeune âge, tu aspires à imiter et dépasser ton frère Michel de seize ans ton aîné, qui pratique en compétition athlétisme puis vélo, et tu t’astreins à courir chaque jour une heure dans un champ près de la ferme. Déjà, tu possèdes le goût de l’effort, de la persévérance, de l’opiniâtreté et de la quête permanente des moyens de progrès et de perfection, qui sont gage de réussite dans tous les domaines, et qui seront ta ligne de conduite toute ta vie.
Certificat d’études primaires en poche à quatorze ans, pendant deux ans, jusqu’à la retraite de ton père, tu t’adonnes aux travaux de la ferme, puis quelques mois à l’entreprise de maçonnerie de ton frère Michel.
En juin 1957, à 15 ans, tu participes à ta première course, un 3km sur route, à Saint Marsault (Deux Sèvres), que tu remportes facilement devant des concurrents de 2 ou 3 ans tes aînés. Dès lors, conseillé par Paul Grangeneuve, CTR Poitou-Charentes, la machine à victoires et records est lancée. En 1960, tes performances incitent Raoul Gautron, Pdt de l’ESPPEC, 24ème meilleur club français, à t’attirer sur Poitiers où tu rejoins Georges Bonnet, animateur passionné du club. C’est ainsi que brillamment muni d’un certificat d’études professionnelles, tu intègres le 1er mars 1961, la BNCI (devenue BNP en 1966), place du Maréchal Leclerc, comme guichetier, et adhères au grand club poitevin. Suit le 1er novembre 1961 ton incorporation au Bataillon de Joinville où tu côtoies les meilleurs sportifs français, toutes disciplines confondues, et pars immédiatement sur le front algérien. Sitôt les accords d’Évian du 18 mars 1962, tu réintègres le Bataillon de Joinville dont tu es libéré fin avril 1963. Tu mets à profit cette année pour accumuler des progrès notoires, portant leurs fruits dans des compétitions tant civiles que militaires.
Puis de retour à la BNCI, en 1965, tu mets la bague au doigt de Marie-Claude. En 1966 le cercle familial s’agrandissant avec la naissance de Valérie et en 1968 celle de Pascale, tu installes ta petite famille dans une première maison à Flée. Elles te suivront fidèlement dans toutes tes compétitions. Parallèlement, l’obtention de ton brevet d’études professionnelles, accompagnée de stages de formation te permettent de gravir les échelons au sein de la BNP et de toucher aux différentes activités bancaires, te portant dans les années 80 à la direction de l’agence Poitiers Université, face au stade Rébeilleau. Tu profites aussi de ta bonne forme pour établir au palmarès de la Vienne, le 14 juillet 1966, ton 5ème record sur 1000 mètres, et le 29 juin 1967 ton 7ème record sur 1500 mètres. L’hiver, les cross succèdent avec bonheur à celui de la piste l’été. Alors qu’à la trentaine, tu te poses la question de poursuivre ta carrière d’athlète, l’arrivée à Poitiers de Michel Marolleau, coach très avisé à l’ASPTT (l’ESPPEC ayant disparu en 1969), t’incite à continuer, avec en apothéose, le 2 juillet 1977, le franchissement du mur des 9 minutes sur 3000m steeple : 8’59’’8, record du Poitou qui tiendra 38 ans jusqu’en 2015 !! Et tu poursuis en vétéran par un titre de champion de France du 1500m en 1984, puis tu récidives à Rébeilleau en 1985, ce qui te vaut une sélection nationale aux championnats d’Europe en Suède, en 1986.
Qui l’eut cru ? En 1987 la décision de construire une nouvelle maison prend jour sur le site des Communaux, au-dessous de Flée. Mais le terrain pentu et rocailleux est parsemé de nombreux chênes au diamètre plus que respectable. Par souci d’éthique personnelle, tu ignores la tronçonneuse et en abats bon nombre à la hache !! Dès lors le site prend le nom des Helvelles de Flée, à l’image des morilles qui en parsèment le sol.
Déjà depuis plusieurs années, tu concilies course sur piste-cross et vélo. L’acquisition en 1973 d’une résidence secondaire, à La Batisse sur la commune de Toy Viam, près de Bugeat en Corrèze, n’y est sans doute pas pour rien. Et les 200 km vallonnés à souhait, qui séparent Flée de La Batisse sont le théâtre de chevauchées épiques et amicales. Les grands cols pyrénéens, Aspin, Tourmalet, Aubisque et ceux des Alpes, Izoard, Galibier, Allos, Cayolle, La Bonnette, Alpe d’Huez…n’ont pas de secret pour toi. Et quand, sur le retour du tour du lac de Serre-Ponçon (90 km d’Embrun à Embrun, dont 1500 m de dénivelé positif), sur les 13 km de plat entre Chorges et Savines, sur la RN 94, tu sais tenir les roues de ceux qui devant, mènent un train d’enfer à 60 km/h avec vent arrière !!
Et plus, en août 1984, tu t’alignes au triathlon d’Embrun, fusse t’il le plus court (900 m de natation, 30 km de vélo et 10 km de course à pied), tu termines 11ème sur 80 participants, mais 1er vétéran !!
Passionné d’ouvrages et revues sportives dès le plus jeune âge, tu amasses au fil du temps une impressionnante collection. Ta retraite professionnelle en 1997, te permet d’y mettre bon ordre et de la poursuivre, pour atteindre plus de 20 000 exemplaires, dont le quotidien l’Équipe, diverses revues sportives, des bandes dessinées, des guides de tourisme, des livres en tous genres, et même des verres publicitaires, le tout occupant de nombreuses armoires en sous-sol.
Jouant à merveille des subtilités de la langue française, tu commets plusieurs ouvrages sportifs, des compilations de faits divers ou historiques comme « la véridique histoire de la Commune Libre de Flée » à laquelle tu t’es pleinement consacré dès sa création en 1973. Ton autobiographie « A bout de courses mais non de souvenirs » est une richesse pour l’athlétisme régional, national et international. Bénévole infatigable tu t’es également investi au sein du comité régional des Joinvillais, du comité départemental d’athlétisme, de l’ASPTT Poitiers, dans l’organisation de randonnées pédestres et meetings d’athlétisme. La salle de la Hune te doit également beaucoup dans l’organisation des évènements et spectacles divers. Tes interventions à Radio Accords, étaient un régal très attendu chaque lundi soir.
Cet aspect culturel ne s’est jamais départi de bonne humeur…et d’humour par des jeux de mots et calembours, voire d’une touche rabelaisienne en fond de car lors des déplacements pour les interclubs, où tu n’avais pas d’égal pour mettre l’ambiance !!..
Claude, nous te pleurons et te regrettons au plus profond du cœur, nous ne t’oublierons jamais. Et comme l’a si bien écrit et chanté Jean Ferrat :
"Tu aurais pu vivre encore un peu,
Mon fidèle ami, mon copain, mon frère,
Au lieu de partir tout seul en croisière,
Et de nous laisser comme chiens galeux,
Tu aurais pu vivre encore un peu."
Rémy Faure 2024.
HOMMAGE A CLAUDE
Cher Claude, les Amis de l'Athlétisme de la Vienne te pleurent aujourd'hui et s'ils regrettent un joyeux compagnon, le sourire aux lèvres et le calembour jamais bien loin, ils savent tout ce que tu as apporté à notre association.
Quand tu succédas à André Coquema au poste de président, notre association, cinquantenaire, était bien connue pour la traditionnelle remise de prix aux athlètes de la Vienne. Tu as poursuivi cette action, avec le concours de tous nos membres, faisant de cette manifestation, un rendez-vous incontournable, pour les médailles certes, mais aussi pour le repas que tu as longtemps animé par tes chansons et tes bons mots.
Mais en même temps, c'est remarquable, tu as fait preuve de beaucoup d'inventivité pour relancer l'intérêt du public sportif et éventuellement, trouver de nouveaux subsides pour l'athlétisme.
Innover tout en s'amusant, tu connaissais bien, tu adorais ça et depuis longtemps :
Organisateur sans complexe, tu avais déjà mis sur pied une course cycliste autour de Flée en 1973, en toute liberté et sans carcan administratif !
Quelques années plus tard c'était l'expérience du CABI, mystérieux club des anciens du bivouac.
Cette expérience accumulée allait trouver à s'employer quand tu devins président des Amis de l'Athlé.
Je me souviens des nombreuses activités, physiques et intellectuelles, que tu proposais dans nos réunions de septembre
Je me souviens de la Fête du 1000m au stade Rébeilleau : en 2006 . la première édition avait aligné 10 courses rassemblant des coureurs de tous sexes et tous âges. Ce fut vraiment une fête mémorable !
Je me souviens de deux « Soirées Jeux » avec deux clubs, ECA Smarves et AC Haut Poitou, qui ont fait rentrer de l'argent dans leurs caisses et dans les nôtres. Ambiance bon enfant, sérieux dans les jeux les plus farfelus. Là aussi, fête mémorable, certains ici s'en souviennent.
Je me souviens surtout de ton travail titanesque qu'a constitué la rédaction de 2 livres sur l'athlétisme dans la Vienne, « Athlétisme en Vienne », travail de (sancto) bénédictin . Même si ce fut un travail de groupe, c'est toi qui en a donné l'impulsion et en a écrit la majeure partie.
Alors Claude, au moment de te dire adieu, nous, les Amis de l'Athlétisme, nous sentons très tristes et orphelins. Espérons pouvoir être dignes de suivre la voie que tu as tracée. Pour terminer, je paraphraserai Pierre Desproges en disant :
« Claude Bodin est mort. Étonnant non ? » Monique Authier mardi 2 janvier 2024